
En effet, le volume d'argent blanchi n'a cessé d'augmenter et de nombreux scandales se sont succédé ces dernières années au sein du secteur financier européen. Les autorités européennes ont finalement décidé de prendre le problème à bras-le-corps avec la création d'une autorité dédiée à la lutte contre le BC-FT.
LCB-FT avant l'ALBC : un cadre de surveillance perfectible
Les raisons de l'échec du cadre de surveillance actuel sont nombreuses : manque de vigilance, intentionnée ou pas, des gatekeepers dans le monitoring des transactions financières, négligence dans l'application des dispositions LCB-FT et la dépendance informationnelle des cellules de renseignement financier (CRF) à l'égard des gatekeepers et des autorités pénales à l'égard des CRF.
Selon la Cour des Comptes (à l'issue de son audit sur l'action LCB-FT de l'UE dans le secteur bancaire en 2021), le problème réside dans le fait que les différentes interprétations des Directives par les législateurs nationaux et les divergences de ressources et de pouvoirs que les Etats membres attribuent à leur autorité de surveillance limitent de facto la qualité et la quantité des informations pouvant être échangées entre elles, de même que leur capacité de coopération comme en témoigne l'affaire Danske Bank (cf. : échanges entre l'autorité danoise et son homologue estonien dans l'affaire Danske Bank). Ces disparités d'application créent des « points faibles » exploitables par les criminels.
Quelle est la solution actuelle de l'UE pour lutter contre le blanchiment d'argent ?
Pour remédier au problème, la Commission européenne a décidé de faire un véritable pas en avant en présentant le 20 juillet 2021 un ensemble de propositions législatives visant à renforcer les règles de l'UE en matière de LCB-FT.Au coeur de ce paquet législatif se trouvent, outre une sixième Directive LCB-FT, 2 règlements : le Règlement 2021/0239 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du BC-FT et le Règlement 2021/0240 instituant la création d'une Autorité européenne de lutte contre le BC-FT.
Le recours du législateur européen à un Règlement, d'application directe dans l'ensemble des Ãtats membres, permet de palier les faiblesses inhérentes aux Directives européennes sur lesquelles reposait le dispositif anti-blanchiment de l'UE jusqu'à présent. Avec la création de l'ALBC, la Commission Européenne souhaite passer de 27 approches nationales de la LCB-FT à la mise en oeuvre d'une véritable approche européenne unifiée.
Quel est le fonctionnement de l'ALBC?
L'ALBC est une agence décentralisée de l'UE, dotée de la personnalité juridique, dont l'objectif est de prévenir le BC-FT dans l'UE, en contribuant à renforcer la surveillance et à améliorer la coopération entre les CRF et les autorités de surveillance.

Quelle est la composition de l'ALBC?
L'ALBC comptera deux organes de direction collégiaux :Un Conseil Exécutif réunissant cinq membres indépendants à temps plein et le président de l'Autorité. Il prendra toutes les décisions à l'égard des différentes entités assujetties ou des différentes autorités de surveillance. Le conseil exécutif prendra également les décisions concernant le projet de budget et d'autres questions relatives à l'administration, aux activités et au fonctionnement de l'Autorité.
A noter qu'une commission administrative de réexamen sera mise en place pour traiter les recours contre les décisions contraignantes de l'Autorité concernant des entités sous sa surveillance. Ses décisions peuvent être contestées devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Un Conseil Général composé de représentants des Ãtats membres pouvant adopter tous les instruments réglementaires, projets de normes techniques de réglementation et de normes techniques d'exécution, orientations et recommandations nécessaires. Pour gérer les différentes missions confiées à l'Autorité, le conseil général pourra se réunir selon l'une ou l'autre des compositions suivantes :
-
1 une composition surveillance, regroupant les responsables des autorités publiques chargées de la surveillance LBC. Dans sa composition « surveillance », il pourra donner son avis à l'égard d'une entité assujettie sélectionnée soumise à une surveillance directe, avant que la décision finale ne soit adoptée par le conseil exécutif.
2 une composition CRF, regroupant les responsables des CRF dans les Ãtats membres. Les deux compositions seront présidées par le président de l'Autorité.
A côté de ces organes collégiaux, l'Autorité sera dotée d'un Président qui la représentera et sera chargé de préparer les travaux du conseil général et du conseil exécutif et d'un Directeur Exécutif qui assurera la gestion quotidienne de l'Autorité et sera responsable administrativement de l'exécution budgétaire, des ressources, du personnel et des marchés publics.
Quels seront les pouvoirs de l'ALBC?
Rôle de surveillanceL'ALBC assurera une surveillance directe sur un certain nombre d'entités du secteur financier sélectionnées en fonction de leur niveau de risque intrinsèque dans un nombre minimal d'Ãtats membres et de leur activité transfrontière. Les critères utilisés pour calculer le risque sont les clients, les produits proposés et les zones géographiques dans lesquelles elles opèrent.

Le nombre d'entités sous la supervision un maximum de 20 dans la proposition initiale. Dans ce contexte, elle pourra imposer des décisions contraignantes aux entités sélectionnées et imposer des sanctions administratives dont le montant maximal, dépendra de la violation constatée et pourra atteindre 10 millions d'euros ou 10% du chiffre d'affaires, le montant le plus élevé étant retenu.
Tableau récapitulatif du système de sanctions :
Manquements | Sanctions | |
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Identifiés dans un Ãtat-membre de l'UE | Identifiés dans plusieurs Ãtats-membres de l'UE | |
Manquements aux exigences liées au devoir de vigilance à l'égard de la clientèle, aux politiques et procédures du groupe, aux obligations de déclarations | De 500K euro à 1M euro ou 0,5% du chiffre d'affaires annuel | De 1M euro à 2M euro ou 1% du chiffre d'affaires annuel |
Manquements relatifs à toute autre obligation listée à l'annexe II de la proposition de règlement AMLA | De 500K euro à 1M euro | De 1M euro à 2M euro |
Violations des décisions de l'AMLA | De 100K euro à 1M euro |
L'ALBC assurera une surveillance indirecte sur d'autres entités assujetties par l'intermédiaire des autorités de surveillance nationales si celles-ci présentent des indices de violations substantielles des obligations LCB-FT. Ces entités feront face à des exigences accrues des superviseurs nationaux, d'autant plus que l'ALBC aura le pouvoir de reprendre les activités de surveillance d'un superviseur national en cas de défaillance de ce dernier.
Elle supervisera les autorités de surveillance nationales par la réalisation de contrôles périodiques afin de garantir leur bon fonctionnement.
Rôle de soutien et coordination
L'Autorité reprendra également la charge de la gestion de deux infrastructures existantes : a) la base de données LBC-FT, actuellement gérée par l'Autorité bancaire européenne et b) la plateforme FIU.net, réseau de communication sécurisé permettant de centraliser l'échange d'informations entre les différentes CRF et de faciliter la réalisation d'analyses communes.

Rôle de législateur
L'ALBC collaborera étroitement avec les CRF nationales pour harmoniser la règlementation LCB-FT, les méthodologies appliquées et les normes de déclaration. Cela améliorera la détection et le suivi des flux financiers illicites, rendant plus difficile l'exploitation des divergences entre les différentes juridictions par les blanchisseurs d'argent et les terroristes.
Pour cela, elle disposera des pouvoirs d'élaborer des projets de normes techniques de réglementation et d'exécution, d'émettre des orientations et des recommandations et d'adresser des avis aux 3 principales institutions européennes.
La LBC-FT de demain : un cadre renforcé et plus efficace
La création de l'ALBC marque une étape décisive dans l'approche de l'UE dans la lutte contre le BC-FT. Elle vise à combler les lacunes du passé, à renforcer la résilience du système financier européen, et à envoyer un message clair sur l'engagement de l'UE à protéger son marché contre les abus financiers.Les CRF resteront le principal point de contact pour recevoir les déclarations de soupçons émanant des acteurs financiers et non-financiers et continueront d'analyser ces informations au niveau national. Si l'ALBC décide d'initier une enquête ou un contrôle sur une entité spécifique d'un pays, les CRF joueront un rôle de soutien opérationnel.

L'ALBC, les CRF et les autorités de contrôle auront désormais des rôles complémentaires et devront coopérer entre elles, ce qui se traduira par un renforcement de la coordination et finalement par une meilleure utilisation des ressources.
La superposition d'une nouvelle institution à l'échelon de l'UE servira ainsi à renforcer le dispositif de surveillance et le réseau des CRF et visera, en somme, à rendre plus efficace la lutte contre les menaces financières transnationales.